treuillage

Ce récit ne traduit que les impressions personnelles de son auteur, différentes peut-être pour d'autres pilotes dans les mêmes circonstances.

Feuille des vols du jeudi novembre 199.. mon nom figure en vol de nuit pour une séance de treuillage bâtiment de nuit comme entraînement mensuel. Un passage vers 14h00 aux "Opérations" de la BAN St Mandrier me permet de lire le message des principaux éléments de ce vol: type et nom du bâtiment, coordonnées du point de RDV , horaires et fréquences radio. Un coup d'œil sur le ZONEX pour s'assurer qu'aucune zone de tir sera active puis passage aux informations météorologiques: pas de front nuageux en prévision mais un reste de houle de sud-est et une nuit noire sans lune. Coucher de soleil à 17h50, qui nous permettra de décoller à 18h20. A 16h00, briefing Flottille à la 31.F dirigé par l'Officier des Vols.
Enoncé de l'activité dans la zone: D'autre vols autres que le mien sont prévus (navigation côtière sur Menton et entraînement ASSM au large de Six Fours pour d'autres Lynx) ainsi que des activités pour la 33.F (navigation tactique JVN au Luc et des appontages de la 59.S sur le porte-avions, loin au large). Puis rappel des prévisions météorologiques annoncées ce matin et confirmées. Il précise les Lynx disponibles en fonction des petites pannes survenues au cours de la journée, sans grand changement.
Pour ma part, je me retrouve avec mon équipage: un copilote, qui pour cette mission sera en place gauche ; un treuilliste qualifié lui aussi "Treuillage nuit", et un plongeur de bord. La version du Lynx utilisée sera celle "Sonar avec un mini bac plongeur".
Cet équipement contient les pertes d'eau de mer en cas de remontée d'un plongeur mouillé. Evitant la corrosion de la cellule par des infiltration d'eau salée. L'homme treuillé prenant place sur le siège (strapontin 4ème homme).
Cette version polyvalente du lynx permet l'usage du sonar tout en apportant une possibilité d'hélitreuillage d'un plongeur au cas où (un petit plus pour le sauvetage des autres équipages volant au-dessus de l'eau ce soir). Les éléments du vol sont énoncés: type et nom du bâtiment, coordonnées du point de RDV, horaires et fréquences radio, activités du ZONEX aux alentours de notre zone de travail. Le RDV sera dans le 180° de Cépet pour 10 NM. Le bâtiment sera le remorqueur "Le Robuste".
Ses caractéristiques et feux de nuit sont notés. Un regard sur la photo de "Flottes de Combat" nous permet d'observer des antennes à l'arrière du mât principal dont il faudra se méfier. Enfin une plage arrière semble bien dégagée pour l'entraînement avec plongeur. D'après les pleins de TR 0 (kérosène) à 500Kg nous pourrons faire une passe de 30' à 40' sur zone avec une bonne marge pour le retour. Les conditions de nuit noire nous impose une arrivée par transition (mise en stationnaire) automatique ou semi automatique: dans le 1er cas le pilote positionne le Lynx à 1600 yards sur l'arrière du bâtiment (+/- 300 yards en fonction du vent relatif par rapport à ce dernier) et enclenche un mode supérieur du pilote automatique.
Cela amenant le Lynx à 60 pieds, 100 yards de distance et entre 20 noeuds à 30 noeuds (en fonction des réglage souhaités) de vitesse sol par rapport au remorqueur. La courte finale, le positionnement et le maintient du stationnaire se faisant à la main. Le copilote nous annonce la vitesse critique calculée: Vitesse air indiquée permettant, en cas de panne d'un moteur, de transformer l'altitude en vitesse et de repartir "sur une patte" (par un piqué à -6° environ et un rétablissement à 20 pieds, + 2°, assiette salvatrice des 40 noeuds et vol monomoteur transitoire [Procédure en vigueur au début des années 90]). Je rappelle les actions de sécurité en cas de panne moteur en stationnaire sans la possibilité de vol sur un GTM: dégagement sur bâbord avant, avec contrôle des tours rotors, largage du plongeur au-dessus de l'eau s'il est au bout du câble par cisaillement (système pyrotechnique actionné soit par les pilotes ou par le treuilliste) et amerrissage forcé portes avants larguées et ballons de flottabilité de secours gonflés (soit par action du pilote ou automatiquement par les détecteurs salins situés sous la cellule). Vu la houle résiduelle, la route probable et les superstructures du bâtiment après concertations avec le treuilliste et le plongeur, une hauteur de 40 à 50 pieds par rapport à la plate forme de treuillage sera adoptée.
Enfin il est décidé de se retrouver à l'appareil à 17h50. Ce moment venu, après avoir signé le cahier des vols et la F.I.D.A., chacun s'affaire avec les 2 pistards autour du Lynx. Visite avant vol, vérification des équipements de treuillage et de secours. Mise en route du GTM 1, test des différents circuits (carburants, hydrauliques, …), équipements électriques et électroniques divers (P.A., radiosondes,…). Vérification du bon fonctionnement du treuil, en normal et secours ( caractéristiques: charge max. 270 Kg, soit un plongeur et un "naufragé" et 50 mètres maximum de câble déroulé). Mise en route du GTM 2, crabotage du GTM 1, mis en puissance vol, actions vitales. Autorisation de roulage par la tour de contrôle et le pistard. Derniers contrôles et stationnaire de décollage puis envol.
Montée à 1.000' 70 noeuds pour une sortie par le cap Cépet, trafics radio de changement de fréquence et passage sous l' "Approche" de Hyères en secondaire et en fréquence principale "Fanny" le contrôle des zones en mer. Après accoutumance de la vue (5' à 10' max.) l'éclairage cabine est diminué, mais ce n'est pas pour cela que nous apercevrons les étoiles cette nuit (lever de lune prévu à 3h16). Puis, descente pour transit à 500 pieds mer tenue par la fonction "Radalt" du pilote automatique.
Pendant cette phase de "vol à vue de nuit", le pilotage se fait "à vue contrôlé aux instruments". Le treuilliste / Elbor et le plongeur assurant à vue l'information d'anti-abordage latéral. Grâce à la position estimée du remorqueur entrée dans le calculateur de navigation et au radar semi-panoramique, le copilote corrèle un point estimant être "le Robuste".
Descente à 300' pour passage à la verticale et identification visuelle de nuit (si bâtiment bien fourni en éclairages). Bascule sur la fréquence de travail pour le contacter. A sa verticale il nous confirme notre passage et sa route/vitesse. Nous en profitons pour le recaler au calculateur de navigation. Nous informons Fanny du début de travail sur zone et la gardons en secondaire.
Le copilote entamant alors un "paterne" pour le positionnement sous le vent du bâtiment à 1600 yards (20 x Vx, soit la Vs) et à ses 4h30 pour un vent relatif entre 10h30 et 11h sur la plate forme de treuillage.
Cette trajectoire permettant au pilote et au treuilliste de mieux apercevoir le Robuste en finale et stationnaire et surtout de s'affranchir d'une partie des turbulences aérologiques dues aux superstructure des gros bâtiments. Les actions vitales avant treuillage sont effectuées en vent arrière dudit paterne de présentation. (annonce de la vitesse critique, mise en marche des moyens de treuillage et secours,…), 175' sont affichés à la molette de tenue automatique d'altitude. Arrivée face au bâtiment une dernière corrélation radar/calculateur est opérée par le copilote, puis ce dernier prend les commandes et passe en vol aux instruments.
La décélération pour mise en vol stationnaire par nuit noire (avec forte houle) pouvant entraîner une désorientation spatiale en pilotage à vue. Dans la fenêtre d'initialisation, la transition automatique est enclenchée par le pilote de droite. Cet automatisme peut-être réalisé en mode "semi auto"; Le pilote de droite conservant la commande de tangage par le manche cyclique en pré affichant des assiettes (+ 1° à + 2°) suivant des "portes" (du plan de descente) à franchir, où à une distance du point de stationnaire (relatif ou non) doivent correspondre des altitudes et des vitesses. L'Elbor/Treuilliste à l'arrière ne reste pas inactif et "supervise" (le fameux "3ème homme" si demandé dans les cockpits d'avions de ligne moderne, non intégré, mais si précieux dans les situations critiques). Vers 80' et 250 yards j'annonce "A vue, je prends les commandes", tout en conservant le mode altitude encore en automatique.
Le copilote annonce la vitesse critique (égale au vent relatif plate-forme + la vitesse sol, Vx). Les feux (poupe et mature) du remorqueur apparaissent de plus en plus distinctement apportant ainsi une certaine notion de relief donc de distance. Doucement je module l'approche pour un stationnaire de contrôle positionné à 4h30 (tribord arrière) du remorqueur et annonce "Coupure Coll" ce qui signifie que je prends manuellement le pilotage complet de l'aéronef. Je demande au copilote "Paramètres cabine ?" , "GTM et P.A. OK pour le stationnaire" me répond-il ; le Robuste étant un habitué de ces séance de nuit ses divers feux sont bien atténués et ne m'éblouissent pas. Le treuilliste demande l'ouverture de porte que je lui accorde, procède à un ultime essai du treuil puis annonce "Paré treuillage".
Je lui annonce "A vous la suite" et sur ses ordres "En avant doux, à gauche doux" etc. Il nous positionne sur la plage arrière du bâtiment. Mentalement je mémorise le tangage et le roulis de la mâture qui oscille à environ 4 à 6 m du nez du Lynx.
Dans certains cas un coup de phare est donné afin d'enlever tout doute sur la présence d'aériens possibles et non visibles à la lueur seul des feux de mât. Mais là, ayant eu une photo du bâtiment ce n'est pas nécessaire, mais je me méfie quand même. Au travers du hublot de pieds j'aperçois d'un œil des mouvements de personnels sur la plate forme. Il faut avoir maintenant un œil sur les superstructures du bâtiment et l'autre sur la "boule" (l'horizon artificiel cabine), une oreille pour les ordres du treuilliste et l'autre pour les échanges avec le copilote qui lui veille la fréquence de Fanny (et moi celle du Robuste). Les débattements des commandes doivent être relativement minimes pour maintenir un stationnaire plan, sinon on a tôt fait de "se mettre dans le zig quand le bateau est dans le zag". Ce qui aurait la fâcheuse tendance à amplifier un tangage et un roulis hélico néfaste pour le maintient du stationnaire relatif de treuillage. Pour éviter cela je pilote ainsi: l'assiette générale de la machine est tenue à 60% environ par le pilote automatique, les 40% restants me servant au maintient de la position verticale par rapport à la plate forme de treuillage. En cas de fortes turbulences (de houle et/ou aérologiques) le pilotage se fait à 100% en passant au travers des efforts artificiels du P.A. bien évidemment. Méthode plus fatigante que la première aussi, il faut toujours penser à s'économiser en l'air. Il est à noter que lors des premières séances d'entraînement une focalisation trop longue sur la mâture (feux d'en haut du mât particulièrement) et un oubli de reprise de références horizontales sur la "boule" entraîne inévitablement une désorientation spatiale (c'est la justification de la présence du 2ème pilote, qui contrôle le stationnaire aux instruments, même pour les pilotes dits "confirmés"). Le treuilliste commente la position du plongeur au bout du câble et sur la plage arrière, afin d'en connaître la position et réagir sainement à son sujet en cas d'amerrissage forcé ( largage sur le pont ou dans l'eau en fonction de sa hauteur). Il faut bien se mettre dans la tête, comme pour tous les treuillages, que les yeux du treuilliste sont ceux du pilote à 75%.
Ce dernier n'ayant qu'un champ visuel relativement réduit (quart tribord avant) ; alors que le treuilliste par la position de treuillage du Lynx entre 10h30 et 11h00 par rapport à l'axe du bâtiment, "domine" la situation extérieure tribord. A l'issue de la remontée du plongeur, je décale le Lynx sur bâbord, entre 5 et 10 mètres maximum du bord du Robuste (l'arrière est à éviter à cause des turbulences de sillage et d'hélice(s) du bâtiment très néfastes pour la flottaison de l'hélico en cas d'amerrissage forcé: les remous aquatiques). Le copilote effectue un dernier contrôle cockpit, recale la position du bâtiment dans le calculateur et annonce "Paramètres corrects, paré pour les commandes". Après confirmation de l'Elbor du "Paré décollage" (tout est arrimé dans la soute cargo et porte fermée), à mon tour de répondre "Attention pour les commandes et le décollage, 3, 2, 1, top à vous les commandes".
A cet instant le pilote de gauche récupère le pilotage de l'appareil et procède à un décollage dit "aux instruments". Je conserve de mon côté le pilotage à vue contrôlé aux instruments pour la phase de monté, puis en passant les 70 noeuds de Vi, annonce "Paré radalt 300 pieds" au copilote qui me répond "Paré" et j'enclenche cette tenue d'altitude automatique. Virage à gauche (30° maximƒum d'inclinaison) et augmentation de la vitesse vers 100 noeuds pour un nouveau paterne de treuillage. Après 3 passes complètes, nous mettons le cap sur le cap Cépet et prévenons Fanny pour un transit retour à 500 pieds, puis Hyères.
Approche pour intégrer l'arrivée sur St Mandrier. Ces derniers nous annoncent un Super-Frelon en provenance du Luc par le point Echo du circuit d'aéroport. Ce trafic nous plaçant en N° 2 pour l'atterrissage. Passage en vent arrière et visualisation du Super-Frelon en courte finale. Actions vitales avant atterrissage, dernier virage et posé.
Roulage, visualisation du pistard, stationnement devant le hangar de la 31.F. Débrayage rotor et conservant toutes les générations diverses, rinçage du treuil à l'eau douce pour un entretien optimum (50 mètres de câble à dérouler et enrouler…).
Arrêt complet des GTM. Descente de la machine et discussion avec les techniciens pour leurs donner l'état général de l'appareil qui fonctionne tout à fait correctement. Passage pour ma part au bureau de piste pour remplir la FIDA des actions réalisées (temps de vol, nombre d'atterrissages et de treuillages) et des problèmes rencontrés pour réparation (heureusement aucun ce soir là).
En salle de briefing l'équipage se retrouve pour les commentaires divers. Le treuilliste me confirme la houle de sud qui était prévue par la météo, sans soucis majeur rencontré. Le plongeur n'a pas eu (trop) peur (pour une fois!?). A mon tour de confirmer cela au copilote qui il faut le reconnaître pour ce type de vol, subit plus qu'il ne "profite" car pratiquement tout le temps la tête dans les instruments. Il est à noter que ce type de plate forme de treuillage est dit relativement facile car connue et possédant une route stabilisée.
A contrario, un treuillage effectué en S.A.R. sur un petit voilier sans aire, ballotté au gré des vagues sans feux de mât, est beaucoup plus pointu que cela.
Aussi bien pour le pilote, le treuilliste et surtout le plongeur, dernier maillon humain de la chaîne de sauvetage le plus exposé. Rendons leurs ici un hommage non démérité.
Dans certain cas difficiles il est vivement recommandé de récupérer les naufragés (de jour comme de nuit) hors de leur embarcation, dans l'eau carrément, en procédure dite "treuillage naufragé" en stationnaire à 50 pieds.

 

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